COMPLAINTE DE LA NOVICE
Franck Berthoux
Dis, as-tu fait bonne régate ?
As-tu bravé, seule et debout,
Le vent insolent qui démâte ?
Dis, en es-tu venue à bout ?
Droite contre le bastingage,
Je t'imagine face au vent.
L'embrun salé sur ton visage
Te fait cligner des yeux souvent.
Ton débardeur vert et humide
Colle à ta peau, moule ton corps;
Croyant voir une néréide
Les poissons se branlent à mort.
Dis, as-tu fait bonne régate ?
As-tu bravé, seule et debout,
Le vent insolent qui démâte ?
Dis, en es-tu venue à bout ?
Telle une figure de proue,
Les seins tendus vers l'océan,
Tu fends la vague, et le ciel joue
Sur son harmonica géant.
Oui, le ciel joue un air sauvage
Qui fait frémir tes trous de nez.
A qui penses-tu dans ta rage
De vaincre un flot calaminé ?
Dis, as-tu fait bonne régate ?
As-tu bravé, seule et debout,
Le vent insolent qui démâte ?
Dis, en es-tu venue à bout ?
Tu parles peu: tu t'exécutes,
Obéissant aux instructions
Lancés comme des uppercutes
Par le chef de navigation.
Je vois tes mains qui manipulent
Voile, corde, garcette et ris...
Tes mains, tes fines mains de tulle
Lumineuses dans le ciel gris.
Dis, as-tu fait bonne régate ?
As-tu bravé, seule et debout,
Le vent insolent qui démâte ?
Dis, en es-tu venue à bout ?
Ah le dur métier de novice !
Les marins fous bandent pour toi
En découvrant l'amour du vice
Au fond de tes yeux en émoi.
Un jour tu seras capitaine
Alors c'est toi qui choisiras
Le marin qui te fera reine
Le mataf que tu videras
Dis, as-tu fait bonne régate ?
As-tu bravé, seule et debout,
Le vent insolent qui démâte ?
Dis, en es-tu venue à bout ?