JARDIN

Le jardin, le plus connu est sans aucun doute, celui d'Eden. Et cette histoire avec Adam et Eve ? Quel succès ! On en parle encore. Il faut dire que tous les ingrédients étaient réunis pour faire de la situation quelque chose d'explosif : homme dans la fleur de l'âge, femme nue, publicité mensongère, fruit symboliquement aphrodisiaque. Ce devait être l'été. L'herbe était douce, l'air rafraîchissant. Bref, avec l'ennui ambiant, ils n'ont rien trouvé de mieux que de faire des bêtises.

Vieilles histoires de jardins

Quelqu'un a dit que les jardins sont des abris miraculeux pour la volupté humaine. Avez-vous déjà observé le comportement des personnes qui entrent dans un jardin, dans un parc ? La démarche se ralentit, les gestes se font moins vifs, la respiration plus calme. Sur le visage apparaît un sentiment de détente et d'allégement. Le promeneur semble avoir laissé à l'entrée une grande partie de ses soucis comme si, soudain, il se trouvait dans un univers différent où malheurs, tracas, alarmes, inquiétudes ne pouvaient plus l'atteindre.
Mais à qui devons-nous l'invention du jardin, à l'homme ou à la femme ? Pour ma part, je penche pour la femme.
Imaginez l'époque où nos ancêtres vivaient encore de chasse, de pêche et de cueillette. Pendant que les hommes partaient à la recherche de nourriture, les femmes restaient dans les grottes, les huttes, leurs refuges, à la maison quoi. Elles s'ennuyaient tant - leurs compagnons partaient plusieurs jours, voire plusieurs semaines - que pour tromper le temps elles ont dû observer la nature autour d'elles. Et petit à petit, d'expérience en expérience, saison après saison, elles ont apprivoisé quelques graines, quelques baies, quelques fruits et même, sans doute, quelques fleurs, constituant autour de leur rustique habitat une réserve naturelle bien utile pour le plaisir du ventre et des yeux mais aussi pour soigner.
J'imagine que les hommes, au bout de quelques siècles, se sont emparés de l'idée pour en faire ce que l'on sait aujourd'hui. Le jardin est une chose bien trop sérieuse pour la laisser aux mains des femmes, se sont-ils dits in petto. Pensez donc ! On n'allait tout de même pas laisser entre leurs mains toutes ces connaissances dans l'art de nourrir, de guérir les maladies, de cicatriser les blessures. Et c'est pourquoi, dans l'histoire universelle des jardins on ne rencontre pratiquement le nom d'aucune femme.
Certes de nos jours, cela change un peu mais guère. Cet été, je suis allé à Chaumont-sur-Loire, visiter le 8ème Festival des Jardins. J'ai dit que j'étais de la Gazette : je suis rentré gratis. J'ai vu le potager en carré de l'ami Jean-Paul. Il y avait des jardins présentés par des femmes mais nous sommes loin de la parité.

Et le sot mari d'Ève, au paradis d'Éden,
Reçut un ordre exprès d'arranger son jardin.
Voltaire

Pour nous, occidentaux, cette histoire de jardin confisqué par les hommes remonte loin. Cela commence, vous vous en doutez, au paradis terrestre, le jardin d'Éden.
Les splendides jardins royaux que les Grecs découvrirent en Perse s'appelaient, en iranien, paridaiza. Le mot fut transcrit en grec sous la forme paradeisos. À l’époque chrétienne, le mot servit à traduire l'hébreu Éden, désignant le jardin où Adam et Ève vécurent leur première semaine de vie. Ainsi christianisé, le mot passa en latin sous la forme paradisus et fut savamment transcrit en français par paradis.
Mais au départ, le paradis était le nom des parcs perses dont les plantations ordonnancées avaient fait l'admiration de Xénophon.
À propos de paradis, il me revient l'histoire de Susanne et des deux vieillards.
Susanne était une belle jeune femme mariée à Joakim, un des Juifs qui avaient été déportés à Babylone. Joakim était riche et possédait un parc, un paradis justement. Le paradis, pour ceux qui l'ignorent, se compose essentiellement d'un vaste enclos, entouré de murs, parfois d'un portique, situé généralement à proximité immédiate des habitations. On y trouve des arbres, fruitiers ou non, disposés selon certaines symétries obligées, des pelouses, des fleurs destinées à réjouir l'odorat et la vue, une source naturelle ou une fontaine. Des animaux, des oiseaux, vivent en liberté dans les feuillages et sur les pelouses.
Généreux, Joakim laissait le parc libre d'accès à ses coreligionnaires.
Mais Susanne, à un certain moment de la journée, le fermait à tous pour s'isoler dans son jardin et, chose qu'elle aimait beaucoup, prendre un bain dans le petit lac d'eau fraîche de ce paradis.
Or il advint que deux vieillards, qui rendaient la justice à leurs concitoyens et qui se trouvaient là où ils n'auraient pas dû être, furent séduits, à l'insu l'un de l'autre, par la beauté de Susanne. Une beauté égale à sa piété. Revenant secrètement à l'heure du bain, ils se rencontrèrent et s'avouèrent mutuellement leur coupable passion. Ils décidèrent d'unir leurs efforts pour arriver à leur fin.
Tandis que Susanne était seule et nue, prête pour le bain, ils la menacèrent de l'accuser de l'avoir trouvé avec un jeune homme si elle ne cédait pas à leur désir. Mais pour ne pas offenser Dieu, elle les envoya balader.
Alors, les deux saligauds la calomnient devant le peuple assemblé qui, croyant à leur témoignage, s'apprête à la lapider. C'est à ce moment que le jeune Daniel entre en scène. Il propose d'interroger nos deux compères séparément.
- Sous quel arbre as-tu surpris Susanne ? demande-t-il au premier.
- Sous un lentisque, répond-il.
Mêle question au second :
- Sous une yeuse.
Par leurs réponses contradictoires, leur mensonge devient manifeste et la foule, à qui on ne la fait pas, lapida sur le champ les deux criminels.
Il s'en passe des choses dans les jardins.

Ève mangea la figue défendue à 11 heures : poisson d'avril.

Je vois que certains d'entre vous suivent mieux que d'autres et qu'ils ont tiqué sur le passage où j'affirme qu'Adam et Ève n'ont vécu au paradis qu'une semaine, six jours exactement en tout et pour tout. Mais ce n'est pas moi qui le dis, c'est un certain Agostino Inveges, en 1646, dans sa très sérieuse et très pieuse Historia sacra paradisi terrestris.
Pour ce savant homme, Dieu a commencé la création du monde un 20 mars. Le septième jour, le 26, il se repose et le lendemain matin, le 27 mars, il crée l'homme et la femme, plante un jardin en Éden et les place au milieu avec l'arbre de la connaissance et tout le bataclan. Ca tombait bien, c'était le printemps.
Ils sont heureux - normal c'est le paradis. Ils sont nus mais ils s'en fichent. Les jours passent.
Au matin du premier avril, vers 10 heures, le serpent (le plus rusé de tous les animaux des champs que Dieu avait fait) vient voir Ève et lui sort son baratin. Vous connaissez l'histoire. Au bout d'une heure, l'affaire est dans le sac : Ève mange la figue, il est onze heures ! Une heure encore, et les réticences d'Adam tombent. C'est son tour de manger le fruit défendu : il est midi !
Le sort de toute la race humaine s'est joué en tout juste deux heures de temps, un premier avril. Ca, c'est un sacré poisson !
Il s'en passe des choses dans les jardins.

De l'arbre en fleur à l'arbre mort,
la distance est d'un pied.
Tu Fu

Vers 660 avant JC, un peu avant Susanne et Daniel, Zoroastre enseignait aux Mèdes qu'Ormuzd, le dieu de la lumière, avait fait surgir de l'argile le premier couple humain et lui avait donné pour demeure un jardin merveilleux qu'illuminait la clarté d'un éternel matin. Tiens, ça me rappelle quelque chose.
Un peu plus tard, en Chine, Chen Fou encourageait l'impérialisme des jardins chinois afin d'apprendre à d'autres hommes encore plongés dans l'ignorance comment construire des chemins menant à la Félicité.
« Si l'on veut, écrit-il dans ses « Récits d'une vie fugitive », disposer autour d'un kiosque, d'un bâtiment à étages, d'un pavillon ou d'une galerie tournante, des buttes de rocailles et des plantations offrant des perspectives agréables, il importe de montrer le grand dans le petit et le petit dans le grand, comme de faire apparaître le plein dans le vide et le vide dans le plein, en application du principe qui veut que la seule harmonie digne de ce nom soit celle qui exalte les contrastes pour mieux faire ressortir la complémentarité des contrastes. »
Mesdames et messieurs les jardiniers, à vos binettes, sécateurs et arrosoirs : vous avez du travail.
À la fin du 13ème siècle, la guerre entre deux cours rivales déchire le Japon. Muso Soseki décide de réveiller la conscience nationale de ses compatriotes en leur construisant un jardin, mais un jardin extraordinaire, un jardin débarrassé de toute influence étrangère, un jardin dans lequel ils puissent se retrouver eux-mêmes. Et il y réussit le bougre !
Et les jardins primitifs ! Ils se présentent le plus souvent comme un ensemble d'allées irrégulièrement tracées au milieu des fourrés d'une contrée boisée.
Il en existe encore quelques exemplaires, par ci ou par là, mais nous n'en savons que peu de chose.
Ce devait être, semble-t-il, le domaine des mages et des chamans que leurs connaissances des herbes et l'art de chasser les mauvais esprits désignaient au respect des membres de la tribu. Il suffisait à une femme stérile, sur les conseils du sorcier, de se promener la nuit, à une certaine phase de la lune, le long d'un certain sentier particulièrement adapté pour se trouver aussitôt enceinte. Certains d'entre vous ne manqueront pas de penser que si la magie y est pour quelque chose, le magicien n'y est peut-être pas pour rien non plus. C'est sans doute vrai car n'oublions pas que les peuplades archaïques n'établissaient et n'établissent encore aucun lien entre l'acte sexuel et la naissance des enfants.
Il s'en passe des choses dans les jardins.

Il admire les grands arbres profonds qui vivent dans les bois.
Victore Hugo

Pour terminer, laissez-moi vous parler d'un très grand jardin, la France. Cet été, pendant mes vacances, j'ai passé quelque temps dans la Creuse et le Limousin. Je me suis promené et j'ai rencontré des arbres magnifiques, des arbres remarquables. Un hêtre notamment, sur la D941, à l'entrée de Saint Avit, dans le Puy de Dôme. Son énorme tronc fait au moins 8 m de circonférence et ses branches 15 m d'envergure. Il est superbe mais malade du champignon, hélas ; solitaire en plein champ. Si quelque lecteur de la Gazette le connaît et peut m'écrire son histoire, j'en serais tout heureux.
J'ai aussi rencontré des houx de 30 m de haut, un châtaignier vieux de plus de 600 ans, un if aussi vieux… Et plein d'autres, grâce à monsieur Monluçon qui a pris la peine et le plaisir de nous les faire découvrir. Si vous être de passage à Limoge, allez à Saint Pardoux lui demander qu'il vous fasse faire un tour à la rencontre de ces arbres extraordinaires.
Une légende bretonne raconte qu'il y a un if dans chaque cimetière car une racine de cet arbre pousse dans la bouche de chaque mort pour que l'âme monte à sa cime où un oiseau l'emporte au ciel.
Bref. L'homme a dessaisi la femme du jardin pour le lui offrir sans doute et pour mieux l'y enfermer. Il a comparé son sexe à un jardin et, bien avant Voltaire, il s'est dit, cultivons-le avant que quelqu'un n'y jette des pierres.
Au demeurant, comme l'écrivait Noël du Fail, il n'y a homme qui mieux dresse et accoutre un jardin que moi. Et n'oubliez jamais que le dieu des jardins est un certain Priape.
Il s'en passe des choses dans les jardins.

Franck Berthoux

 

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